Sûr, ça leur fend le cœur de savoir qu’après cet article, il leur sera encore plus difficile de trouver de la place pour y manger… Mais les Doudes ont bon cœur et sont prêts à tout partager, même leurs meilleures adresses. Voici Çiya Sofrası, un monument, un jardin du paradis, un conservatoire des traditions culinaires anatoliennes, un havre de goûts au bord du Bosphore.
À l’origine des Çiya (la montagne, en kurde), il y a un gamin qui a grandi dans une famille de boulangers et de restaurateurs du côté de Gaziantep, au sud-est de l’Anatolie. Musa Dağdeviren, ce gamin devenu adulte, est probablement le meilleur spécialiste de la cuisine populaire anatolienne, en particulier celle des plus démunis, de ceux qui doivent se passer de viande et se nourrir avec leur propre production et des aliments glanés ici ou là : racines, champignons, herbes, etc.
Ce savoir collecté tout au long de sa vie, Musa Dağdeviren le met en scène dans une belle revue (« Yemek ve Kültür », Nourriture et Culture) et dans ses trois restaurants, en particulier Çiya Sofrası (les deux Çiya Kebap sont davantage tournés vers les kébabs). Depuis 1988, chez Çiya Sofrası, pas de menu mais deux comptoirs (l’un pour les salades et autres entrées, l’autre pour les plats chauds). On regarde, on salive, on choisit, on paie au poids. De nombreux plats végétariens reflètent le savoir accumulé par des générations habituées à devoir se passer de viande.
Chaque jour, une cinquantaine de plats sortent des cuisines, variant selon la saison et les ingrédients trouvés par le propriétaire (qui est particulièrement exigeant dans ce domaine). Des classiques comme le perde pilav (du riz au poulet et aux fruits secs, cuit en aumônière dans un moule), les feuilles de vigne farcies aux griottes ou au fromage lor, ou les fricassées d’herbes, de légumes et de çağla (divers fruits à noyaux récoltés encore verts). Des recettes inhabituelles comme le galye (un ragoût d’agneau aux coings, abricots et châtaignes), le keledos, une purée grossière de pois chiches, blé et haricots secs servie avec une sauce épicée, ou le pazı borani, un ragoût de blettes, pois chiches et haricots secs servi avec du yaourt. Plus rarement paraît-il, mais nous n’avons pas eu la chance d’y goûter, Çiya sert du yeni dunya (des nèfles du Japon farcies à la viande !) ou des champignons keme grillés (une sorte de grosse truffe).
Chez Çiya Sofrası, les salades sont délicieuses, souvent préparées avec les herbes des montagnes (de la mauve, de la mélisse, etc.). Parmi les desserts, mention spéciale pour les yaprak sarma aux pistaches et, difficile à dénicher si loin du Liban ou de la Syrie, les karabij, de petits maamouls à la pistache (kerebiç, en turc) servis avec une mousse sucrée, natef en arabe, préparée avec de la racine de saponaire (Saponaria officinalis) qui rappelle le nishalla. En Turquie, on appelle ça « köpük helvası », le dessert d’écume (merci Ayset !). Vous pourrez également y goûter des « fruits » confits inhabituels : tomates, olives et noix vertes, aubergines, etc. Divers jus sucrés (şerbet) peuvent accompagner le repas selon les saisons : mûre, datte, prune, etc. Et les plus chanceux se verront proposer une petite tasse de kaynar, une infusion d’épices sucrée saupoudrée de noix hâchées.
Pour trouver Çiya Sofrası, il faut prendre le bateau jusqu’à Kadıköy sur la rive asiatique et se faufiler dans les ruelles du marché jusqu’à la rue du Jardin ensoleillé… Les trois Çiya se font face.
Caferağa Mah., Güneşlibahçe Sokak 43, Kadıköy
+ 90 216 330 3190
ciya.com.tr